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16 juin 2016 4 16 /06 /juin /2016 20:16

7 années de bonheur 

Etgar Keret

Traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean­Pierre Carasso.

Editions de L’Olivier – Collection Littérature étrangère – 2 mai 2014

Editions Points en Poche – 4 juin 2015

 

Si une roquette peut nous tomber dessus à tout moment, à quoi bon faire la vaisselle ? Et les oiseaux du jeu Angry Birds, lancés à pleine vitesse sur de frêles maisons, ne ressemblent-ils pas à de furieux terroristes ?

Avec une ironie hors du commun, Etgar Keret relate sept années de sa vie à Tel-Aviv : la naissance de son fils, l'histoire de sa soeur ultra-orthodoxe et de ses onze enfants, les chauffeurs de taxi irascibles, ses parents rescapés de l'Holocauste, les tournées littéraires mouvementées, et l'attitude peu banale qu'il convient d'adopter lors d'une alerte à la bombe. Etgar Keret offre dans ces chroniques intimes une étonnante radiographie de ses contemporains, où l'émotion et l'humour se conjuguent à tous les temps de l'insolence.

 

Critique Le Monde :

Après ses nouvelles où se télescopent ironie, sens de l'absurde et poésie, l'écrivain israélien publie, " en contradiction avec tous ses principes ", un recueil de textes autobiographiques drôles et bouleversants...
Comment survivre dans un monde cinglé ? Chacun fait comme il peut, répond Etgar -Keret au fil de ces trente-cinq textes qui font rire franchement ou laissent les yeux rougis - parfois, même, les deux. (Raphaëlle Leyris - Le Monde du 5 juin 2014) 

 

Interview donnée à Libération le 28 mai 2014

Par Nathalie Levisalles

 

Où ce livre a-t-il d’abord été publié ?

En Turquie, en novembre dernier. Pour le moment, il n’est sorti qu’en Turquie, au Mexique et aux Pays-Bas. C’est comme pour les essais nucléaires, on les fait dans des pays qui ne se plaindront pas.

Quand je suis allé à Istanbul présenter ce livre, mon éditrice a parlé avec un jeune homme qui attendait que je lui signe son exemplaire. Il vivait dans un village situé à onze heures de route et s’occupait de son grand-père. Quelques jours plus tôt, il avait dit à son père qu’il voulait aller à Istanbul rencontrer un écrivain qu’il aimait. Son père lui a demandé qui c’était, il lui a dit que c’était un Israélien. «Tu veux laisser ton grand-père pour aller voir un juif ? Je te l’interdis.» Le soir même, pendant qu’il douchait son grand-père, celui-ci a vu qu’il était triste et lui a demandé pourquoi. Quand le jeune homme a raconté ce qui s’était passé, le grand-père lui a dit :pars, maintenant. C’est moi l’aîné, c’est moi qui décide. Si quelqu’un t’émeut et te fait réfléchir, qu’il soit musulman, chrétien ou juif, tu dois aller le saluer.

En fait, ma question était : dans quelle langue ces textes ont-ils d’abord été publiés ?

J’ai écrit le premier jet en hébreu, ils ont été traduits en anglais, j’ai travaillé sur la version anglaise pour le texte final et ils ont d’abord été publiés en anglais. Cela permet de faire une différence avec ma fiction. Bien sûr, les deux types de textes ne sont pas totalement séparés : dans mes nouvelles, il y a un noyau de réalité ; et dans ma «non-fiction», il y a des choses qui relèvent de la licence poétique. Mais mon attitude est très différente : quand j’écris de la fiction, même si ça part de ma vie, je ne sais pas ce qui va sortir. Avec la non-fiction, je me sens obligé de rester près de la réalité.

Je dois dire que je ne suis pas tout à fait à l’aise avec la non-fiction. Pour moi, il y a dans la fiction quelque chose qui libère, qui autorise une sorte de sincérité. Alors qu’écrire sur sa propre vie, je trouve, revient toujours, consciemment ou non, à plaider sa propre cause. Je me suis toujours un peu méfié des gens qui écrivaient sur eux-mêmes. Mais surtout, il m’est plus facile d’inventer une histoire plus sincère, plus honnête et plus profonde que ne le serait une histoire vraie. Pourquoi écrirais-je sur ce qui est arrivé ?

 

La non-fiction, c’est une nouvelle carrière ?

Non, c’est une manière de tourner la page après la mort de mon père. C’est aussi lié à la naissance de mon fils. J’ai grandi dans une famille où l’idée de famille n’allait pas de soi. Ma mère a perdu toute sa famille pendant la guerre. De son père, elle avait reçu une mission : avoir des enfants. J’ai toujours pensé que, pour mes parents, fonder une famille était d’abord un fantasme, un rêve inaccessible, comme les gens qui disent qu’ils veulent devenir milliardaires ou aller sur la Lune. C’est dans ce contexte que j’ai grandi, ça explique beaucoup de choses. Quand mon fils de 8 ans se lève à 5 heures du matin, ma femme lui demande : pourquoi ce n’est pas moi que tu réveilles ? Il répond : quand je te réveille, on dirait que ça t’embête, mais quand je réveille papa, quelle que soit l’heure, il ouvre les yeux et il me sourit. Comme je préfère faire du bien aux gens, je réveille papa. Une autre histoire sur mon fils. Un jour, il devait avoir 4 ans, nous avons pris un taxi en revenant de chez mes parents, ma mère lui avait donné un paquet de tacos. Je lui ai demandé de m’en donner ; d’habitude, il est très généreux, mais il m’a dit non. Quand je lui ai demandé pourquoi, il a répondu : parce que ça ne serait pas juste, quand tu étais enfant et que tes grands-parents te donnaient des tacos, tu ne m’en donnais pas, pourquoi est ce que je t’en donnerais ? Je lui ai dit : Tu sais, Lev, quand j’avais ton âge, je n’avais pas de grands-parents, ils ne me donnaient pas de tacos, parce qu’ils étaient tous morts.

Il a réfléchi un moment, il m’a tendu le paquet et il m’a dit : prends-le papa, tu m’as coupé l’appétit.

 

Vous inventez !

Non, il y a des histoires sur lui que je ne raconte pas parce que je sais qu’on ne me croira pas. C’est un enfant qui est à la fois agité et plein de joie de vivre. D’habitude, les gens qui aiment la vie sont calmes, pas lui. C’est quelque chose que je connais, à nous deux, nous formons un petit groupe de soutien.

 

Il y a quelques années, vous avez fait une interview de Benyamin Nétanyahou.

En juin 2011, le quotidien Haaretz a publié, comme Libération, un numéro où ils demandaient à des écrivains de faire le journal. Ils m’ont proposé d’interviewer Netanyahou qui allait en Italie voir Berlusconi. J’ai dit OK, mais il ne voudra jamais. En 1993, j’avais écrit une comédie musicale où Netanyahou mangeait son frère. Pendant que le frère mourait, il lui disait : ne t’en fais pas, un jour, je serai Premier ministre et j’utiliserai ton souvenir. En 1993, personne ne pensait qu’il deviendrait Premier ministre, c’était juste un truc sur l’exploitation de la mémoire. Mais il a finalement accepté et je suis allé à Rome. Pendant que je préparais mon sac de voyage, ma femme a écrit une note et m’a demandé de la lui donner. Elle avait écrit : «M. Netanyahou, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour amener la paix, pour l’avenir de nos enfants et des vôtres. Merci, Shira.» J’ai éclaté de rire et je lui ai dit : qu’est-ce que tu crois ? Qu’il va dire, ah putain, toute ma vie j’ai essayé de bousiller la paix, mais cette femme m’a écrit une gentille lettre, alors je vais changer. Elle a commencé à pleurer et je me suis senti très mal.

Donc, j’ai pris l’avion et je suis arrivé à Rome. Il y avait une conférence de presse, j’étais au milieu de journalistes politiques très sérieux et très importants. Tous étaient très gentils avec moi. Ils m’ont dit : voilà comment ça marche, tu ne peux pas enregistrer, il faut dire à l’avance quelle question tu vas poser. Et il y a un truc avec Nétanyahou : il ne répond jamais aux questions qu’on lui pose. Les Italiens ont dit que si on finissait assez tôt, ils mettraient à notre disposition une navette pour aller piazza Navona. Toi, tu voyages beaucoup parce que tu es écrivain, mais pas nous. Alors, on te le demande, ne nous bousille pas cette occasion. Ne commence pas à insister avec des trucs à la con. Nétanyahou dira ce qu’il dira, on a été des centaines de fois avec lui, ne prolonge pas la conférence de presse parce que, si c’est trop long, ils ne nous emmèneront pas piazza Navona. J’ai dit OK, ça a commencé, et ma question est arrivée : que faites-vous pour avancer les chances de négociations avec les Palestiniens ? Avez-vous un plan secret ? Il répond : c’est une bonne question, mais ce n’est pas la bonne question. La bonne question, c’est: qu’est-ce que je fais pour protéger Israël d’une attaque nucléaire par l’Iran. Quand il finit, il demande : vous êtes content de ma réponse ? Et je dis : non, vous avez parlé de l’Iran, ce qui est important, mais je veux savoir où en sont les négociations avec les Palestiniens. Il me dit : très bien, voilà une métaphore, il me parle de l’Irlande, de l’IRA… Et il conclut : j’espère que maintenant vous êtes content. Et je dis : non non non, je suis désolé, tous les autres pourront vous reparler, mais moi, c’est la seule occasion de ma vie, et je vais insister, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

A ce stade-là, les autres journalistes étaient fous de rage, ils me fichaient des coups de pied sous la table, mais je me suis dit, je suis comme ma femme, je m’en fiche. Il fait encore une réponse, et je dis : non, ce n’est pas une bonne réponse. A ce moment, le chef de cabinet dit : M. Nétanyahou, je pense que vous devriez passer à la question suivante. Nétanyahou dit : non non, je ne passerai pas à la suite avant qu’il ait dit que ma réponse lui convenait. Ça a continué et, à un moment, il a dit : je ne fais rien, parce qu’il n’y a rien à faire. Vous êtes content de cette réponse ? J’ai dit «content» n’est pas le mot, mais maintenant je comprends, merci. A ce moment-là, les journalistes politiques étaient partis, ils ne sont pas allés piazza Navona et plus personne ne m’a adressé la parole. J’ai écrit mon papier et, le lendemain, Haaretz a titré : «Nétanyahou dit qu’il n’y a pas de solution au conflit israélo-palestinien». Ça a fait scandale jusqu’aux Etats-Unis. Des gens ont dit : voilà ce qui se passe quand on envoie un romancier gauchiste, il utilise son imagination. Je me suis retrouvé dans un débat à la radio avec le chef de cabinet de Nétanyahou qui a dit : c’est un problème quand quelqu’un n’est pas professionnel. Ensuite, ils m’ont donné la parole et je me suis adressé à lui : quand on s’est rencontrés, je me suis dit, on n’a rien en commun politiquement, mais c’est un type bien, ce n’est pas un menteur. Je voudrais vous poser une question. Vous étiez dans la pièce avec nous. Nétanhyahou a dit ça ou il ne l’a pas dit ? Il est resté silencieux un moment et il a répondu : il l’a dit, mais je pense que vous ne l’avez pas compris. Et j’ai dit : alors le pays entier a mal compris.

 

Vous faites toutes sortes de choses, pas seulement des nouvelles ou de la non-fiction.

Après avoir survécu à l’Holocauste, mon père a changé de profession tous les sept ans au cours de sa vie. Il disait : je ne veux pas vivre une vie, je veux en vivre plusieurs. Ça n’a pas toujours été facile, il s’est parfois retrouvé assez pauvre, mais, ce que j’ai compris, c’est que la vie est une sorte de fête foraine, qu’on n’est autorisé à être là que pendant une journée et qu’il faut monter sur autant de manèges et d’attractions que possible. «Vous avez essayé l’Holocauste, essayez maintenant les voyages, les expériences…» Moi, j’écris de la fiction, des livres d’enfants, de la BD, des scénarios de films, des pièces de théâtre, des paroles de chansons. En ce moment, je travaille avec ma femme à un spectacle de danse, avec la compagnie américaine Pilobolus. Il s’agit toujours de raconter des histoires, mais j’aime faire des expériences différentes. Je pourrais me contenter d’écrire de la fiction pendant cinquante ans, et puis de mourir, comme le font la plupart des écrivains. Ce n’est pas une mauvaise vie, mais ce n’est pas celle que je veux.

 

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