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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 21:25

FESTIVAL LETTRES D ISRAEL

 

La deuxième édition du festival Lettres d’Israël se déroulera du 8 au 18 septembre 2017 à Paris.

 

Lectures, présentations, rencontres réuniront de grands auteurs israéliens, au premier chef desquels, David Grossman.

Il fera une lecture-concert de son dernier livre « Un cheval entre dans un bar » au théâtre de la Colline les 9 et 10 septembre.

Le 8 septembre à 20h30, en ouverture, un dialogue sur la figure de l'Ennemi réunira Wajdi Mouawad et David Grossman.

 

Les autres événements de ce festival permettront de découvrir Zeruya Shalev, Orly Castel-Bloom, Ayelet Gundar-Goshen, Meir Shamev, Raphael Jerusalmy, Dorit Rabinian....

 

Une occasion unique de rencontrer ces grands auteurs, le programme complet sur :

https://www.facebook.com/lettresdisrael.festival/

 

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31 janvier 2017 2 31 /01 /janvier /2017 19:30

SAVE THE DATE, RETENEZ LA DATE

Le 16 février 2017, le nouveau roman de Zeruya Shalev, Douleur, sort aux Editions Gallimard. 

Un belle lecture en perspective.

 

Et pour ceux qui sont à Strasbourg ou pas loin, vous pouvez la rencontrer

A la Librairie KLEBER à Strabourg

Le 22 février 2017 à 17h.

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27 mai 2016 5 27 /05 /mai /2016 13:38

Eshkol Nevo est présent aux Assises Internationales du Roman à Lyon.

Le samedi 28 mai de 17h30 à 19h aux Subsistances
8 bis quai Saint Vincent 
Lyon 1er

Table ronde : Parce que c'était lui, parce que c'était moi : l'amitié

Avec Goran Petrović, Eshkol Nevo et Lyonel Trouillot. Avec le soutien des Services Culturels de l'Ambassade d'Israël en France. Animée par Nicolas Weill

Les mots de Montaigne pour décrire l’amitié qui l’unissait à La Boétie donnent une idée du caractère énigmatique et complexe de ce sentiment. Si complexe que les romanciers, souvent, préfèrent donner le premier rôle à l’amour, comme si les flammes de la passion étaient plus faciles à exploiter littérairement. Les braises de l’amitié, pourtant, sont le substrat de bien des livres, comme de bien des vies, même quand elles semblent ne pas occuper l’avant-scène des uns et des autres.

 

Le dimanche 29 mai de 11h à 12h30 aux Subsistances

8 bis quai Saint Vincent 
Lyon 1er

Dialogue. Avec Delphine de Vigan et Eshkol Nevo. Débat mené par Lionel Tran, co-fondateur des Artisans de la Fiction.
En partenariat avec les Artisans de la Fiction et avec le soutien des Services Culturels de l'Ambassade d'Israël en France. 

Delphine de Vigan et Eshkol Nevo parlent des étapes par lesquelles ils sont passés pour finaliser leur dernier roman. Par où ont-ils commencé ? Comment ont-ils transformé ce matériau en histoire ? Quand ont-ils arrêté leurs choix formels (point de vue, stratégies vis-à-vis du lecteur, nombre de pages) ? Quel a été leur degré de préparation (personnages, trame) entre les premières idées et le début de l’écriture ? Ont-ils fait appel à des regards extérieurs ? Quel a été le travail de réécriture ? Ont-ils adopté cette méthode sur leurs romans précédents? Qu’ont-ils appris, techniquement, au fil de leurs romans ? 

 

> 6 € / Gratuit pour les lycéens, les étudiants, les demandeurs d'emploi et les bénéficiaires du RSA sur présentation d'un justificatif

Réservations :

> Par téléphone : 04 78 39 10 02 du mardi-vendredi : 13h-18h ; samedi : 14h-19h. (La billetterie sera ouverte lundi 23 mai. Le règlement des places est immédiat à partir du 23 mai - CB par téléphone).
> Ou 
en ligne
24h / 24, 7 jours / 7, dans la limite des places disponibles. Paiement en ligne sécurisé via Paybox.

 

Lien vers le site des AIR

http://www.villagillet.net/portail/air/details/article/le-travail-du-manuscrit/

 

Profitez-en, les AIR sont l'occasion d'écouter des auteurs, mais aussi de pouvoir leur parler après les tables rondes et entretiens, et de faire dédicacer vos livres.

 

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 19:45

Summer is dying

Summer is dying in the purple and gold and russet
of the falling leaves of the wood,
and the sunset clouds are dying
in their own blood.

In the emptying public gardens
the last strollers break their walk
to lift their eyes and follow
the flight of the last stork.

The heart is orphaned. Soon
the cold rains will be drumming.
'Have you patched your coat for winter!
Stocked potatoes against its coming?'

Hayyim Nahman Bialik

L'été se meurt
      
L'été se meurt dans la pourpre et l'or et le roux
de la chute des feuilles du bois,
et les nuages du soleil couchant se meurent 
dans leur propre sang.

Dans les jardins publics vidés
les derniers promeneurs cessent leur marche
pour lever les yeux et suivre
le vol de la dernière cigogne.

Le cœur est orphelin. Bientôt
les pluies froides seront tambours.
«Avez-vous rapiécé votre manteau pour l'hiver!
Stockés des pommes de terre contre sa venue? ».

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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 19:33

Wildpeace

Not the peace of a cease-fire
not even the vision of the wolf and the lamb,
but rather
as in the heart when the excitement is over
and you can talk only about a great weariness.
I know that I know how to kill, that makes me an adult.
And my son plays with a toy gun that knowsWildpeace
how to open and close its eyes and say Mama.
A peace
without the big noise of beating swords into ploughshares,
without words, without
the thud of the heavy rubber stamp: let it be
light, floating, like lazy white foam.
A little rest for the wounds - who speaks of healing?
(And the howl of the orphans is passed from one generation
to the next, as in a relay race:
the baton never falls.)

Let it come
like wildflowers,
suddenly, because the field
must have it: wildpeace.


Translated by Chana Bloch 

 

Paix sauvage

 

 

Non pas la paix d'un cessez-le-feu
pas même la vision du loup et de l'agneau,
mais plutôt
comme dans le cœur lorsque l'émotion n'est plus
et que vous ne pouvez parler que d'une grande lassitude.
Je sais que je sais comment tuer, qui fait de moi un adulte.
Et mon fils joue avec une arme-jouet qui sait
comment ouvrir et fermer les yeux et dire maman.
Une paix
sans le grand bruit des coups d'épées contre les lames des charrues,
sans mots, sans
le bruit sourd du lourd coup de tampon: que ce soit
la lumière, flottant, comme une paresseuse mousse blanche.
Un peu de repos pour les blessures - qui parle de guérison?
(Et les hurlements de ces orphelins sont transmis d'une génération
à l'autre, comme dans une course de relais:
le bâton ne retombe jamais.)

Laissez-la venir
comme les fleurs sauvages,
soudainement, car le champ
doit l'avoir: la paix sauvage.

 

Yehuda Hamichai

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8 mars 2015 7 08 /03 /mars /2015 14:00

Les Assises Internationales du Roman, 9ème édition, recevront l'écrivain israélienne Zeruya Shalev.

Les Assises se tiennent du 25 au 31 mai 2015.

Zeruya Shalev sera présente le samedi 30 mai à 17h30 aux Subsistances.

Elle particpera à une conférence sur Le lien familial, avec les auteurs Manu Joseph (Inde) et Florence Seyvos (France).

Ne manquez pas cet événement.

 

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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 21:59

Le prochain livre de Benny Barbash sortira aux éditions Zulma le 13 janvier 2010.

 

Little Big Bang Roman 192 p

Traduit de l’hébreu par Dominique Rotermund

  
La fabuleuse mésaventure d’un homme qui ne souffrait, à l’origine, que d’un surplus de poids.
 
Un peu d’obésité chez un honnête homme israélien est loin d’être une disgrâce. Sauf s’il décide de maigrir à tout prix. Malgré les moqueries affectueuses de son épouse et des grands-parents, notre homme multiplie en vain les régimes : tout fruit, tout viande, ou tout carotte. Une diététicienne de renom lui recommande le tout olive. Il finit par avaler un noyau qui se fiche dans l’épigastre. Et voilà qu’un beau jour quelque chose bourgeonne de son oreille gauche, une pousse d’olivier dirait-on, phénomène qui sera à l’origine d’un véritable big-bang local…
À partir d’un événement pour le moins insolite, traité à la manière positive du conteur, Benny Barbash nous offre une fable à mourir de rire, d’une pertinence abrasive. Dans le contexte épineux du drame palestinien et de l’occupation des territoires…
 
Du petit incident de santé pour le moins inaccoutumé d’un citoyen ordinaire, bientôt amplifié jusqu’à devenir un fait-divers emblématique d’audience nationale et même internationale, l’auteur tire un conte moral d’une redoutable efficacité dont la portée ne saurait nous échapper à l’heure des négociations pour l’indépendance des territoires palestiniens et du retrait conséquent des colonies illégales.
Simple drame ménager au départ, le polype de forme végétale dans l’oreille du père de famille attire l’attention et les commentaires d’une épouse flegmatique, d’une grand-mère poule typique, d’un grand-père astrophysicien qui ramène drôlement chaque fait de ce coin de terre à la démesure cosmique.
Partant du principe qu’une bonne fable est une manière de prendre l’actualité au pied de la lettre, Benny Barbash semble évoquer dans ce roman certaine déclaration de colons intégristes interdisant de prendre part « à toute action qui viserait à déraciner les Juifs de n’importe quelle partie de notre terre sacrée ». En moderne voltairien qui cultive la satire sous le couvert d’une fiction invraisemblable racontée posément à la manière de Marcel Aymé ou d’Italo Calvino, l’auteur de
My First Sony revient sur les pesanteurs politiques et idéologiques de la société israélienne, à la fois ouverte à la modernité et bloquée dans son déni des droits du peuple palestinien à disposer d’un territoire souverain.
Ces archaïsmes, Benny Barbash les analysent l’air de rien, sur le mode de l’allégorie et de la parabole, dans un scénario remarquablement bien ficelé où le mythe de l’olivier symbiotique trouve un terrain à réflexion particulièrement fertile.
Benny Barbash sera en France pour la parution de Little Big Bang du 10 au 16 janvier 2011
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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 21:22

Le prix Bialik 2010 a été décerné à Leah Aini.

 

Bien qu'elle soit, en Israël, un écrivain reconnu, elle n'a pas encore été publiée en France.

 

Auteur de cinq romans, plusieurs ouvrages de nouvelles, des recueils de poésie et d'oeuvres pour la jeunesse.

Elle a déjà été primée à plusieurs reprises; lauréate du Prix Wertheim pour la poésie et du prix  Adler pour la poésie en 1988, deux fois lauréate du prix du Premier ministre en 1994 et en 2004, et du prix Bernstein pour le théâtre en 2006.

Le monde qu'elle décrit est un monde de privation et de cruauté, un monde qui réussit rarement à trouver sa voie dans la littérature hébraïque.

 

Son dernier roman "La rose du Liban" est sorti en Israël en 2009.

 

Pour vous donner une idée de son talent littéraire, je vous publie ce texte , disponible sur le site du ministère des affaires étrangères israélien

 

Nasser attend Rabin*

Leah Aini

 

Le matin même du jour où on avait projeté de brûler Nasser, madame Rachel sétait réveillée une heure plus tôt que dhabitude. Elle avait sorti le petit couteau quelle avait fourré sous son oreiller la veille au soir, et sétait précipitée, nu-pieds, pour sassurer quon ne lui avait pas volé le linge sale et les loques quelle amassait dans deux cuves, dans sa cour.

Ces cuves de bois, qui en fait étaient de vieux tonneaux du port, étaient, contrairement à la coutume, fermées au moyen de cadenas de bicyclette quelle avait empruntés peu de temps auparavant au facteur qui habitait à une rue de là et qui navait accepté que la veille de Lag baomer** de rentrer sa bicyclette chez lui pour que les enfants ne volent pas le linge de madame Rachel. Mais non ! madame Rachel tapa sur le couvercle fendillé, rassurée ; rien navait été forcé. Quelle chance ! Puis elle tira, mais vainement, sur les pans de sa chemise, qui navait plus de boutons, pour se préserver du froid et entreprit de se débarrasser des aiguilles de pins collées à la plante de ses pieds. Ce faisant, elle fit tomber le couteau tordu dont elle se servait pour découdre les édredons quon lui apportait maintenant, tous les deux jours, pour les laver, et quelle glissait dans sa manche dès son réveil. Madame Rachel ne se troubla quun bref instant à la vue de son couteau, le ramassa et sen servit pour détacher les brindilles qui sétaient collées à sa cheville ; mais à peine sen était-elle débarrassée quelles allaient se coller à son autre cheville. Madame Rachel eut un sourire forcé. Tout à coup, comme si elle sétait brusquement avisée de toute limportance de ce moment creux dans une journée qui promettait dêtre plus longue quà lordinaire, elle se tourna de nouveau vers la cour, sappuyant avec un peu trop de vivacité au chambranle de la porte.

Lheure était matinale et aucun bruit ne venait encore des demeures voisines dans la cour carrée et noire comme une tablette de chocolat, bordée de cabanes de bois qui malgré leur apparente exiguïté nen abritaient pas moins sept ou huit âmes. Entre les deux bicoques de gauche, proches de la clôture qui bordait la place de la Maison du Peuple qui était, en fait, la bibliothèque du quartier- se tenait le lavoir public, construit, lui, en pierre et qui, à cette heure, était encore sombre et clos. Cétait bien le signe quelle sétait levée, grimaça madame Rachel qui se sentait la seule âme qui vive du lieu... Elle en ressentit une grande fierté. Cette journée promettait des changements auxquels elle pensait depuis longtemps et nattendait que le moment propice. Elle échangea de nouveau un talon irrité et sali de boue et de brindilles pour lautre, étira les bras, lâchement noués en cercle. Ah oui alors ! elle sestimait très courageuse dêtre là, à la fin de la nuit, de jouir ainsi de cette demeure quelle avait fini par dénicher après quelle sétait enfuie du foyer conjugal, et déprouver ce sentiment quelle allait enfin obtenir quelque chose qui depuis trop longtemps lui échappait. Cest pourquoi madame Rachel, par un plaisir qui seul lui donnait le sentiment dêtre un peu choyée, aspira lair lessivé, levant ses yeux clos et les rouvrant brusquement le ciel était blanc.

Madame Inès, la couturière qui habitait dans la cour jumelle, de lautre côté de la route, et chez qui madame Rachel allait quelquefois le soir, boire un café et bavarder un peu, croyait au ciel. La vieille couturière disait quil était la meilleure boule de cristal qui puisse se trouver et quil fallait être bien bête pour aller acheter lavenir chez les voyantes boukhariennes ! Pour quoi faire ? Il suffit de lever la tête jusquà loeil de Dieu, hoqueta madame Inès avec un rire malin ; là-bas tout est clair, tout est écrit; il faut seulement avoir le courage de regarder. Elle était veuve et avait donc amplement le temps de regarder par sa fenêtre ; et il y avait là de quoi nourrir lenvie de madame Rachel qui, pour sa part, encore cinq ans plus tard, redoutait toujours de voir réapparaître son mari inopinément, dentre les draps quelle avait étendus dans sa cour au-dessus du couple des deux grandes cuves eau chaude, eau froide qui trônaient sur des socles de bois improvisés à laide de planches amassées deci-delà et quelle avait elle-même assemblées à laide de clous rouillés, les laissant de hauteur inégale, et sur lesquels elle avait posé les bassines métalliques où elle lessivait les vêtements, la laine ou les plumes graisseuses quelle étalait ensuite pour les faire sécher sur des sacs étendus dans la cour.

Elle avait bonne réputation et travaillait dur ; et elle était fière au fond de navoir pas le temps de contempler le ciel. Les jours lui fuyaient sous le nez comme des bulles de savon, et son mari ne revenait pas. Madame Rachel disait ses prières tous les soirs avant de se laisser aller à des rêves de changement. Il était peut-être mort déjà, cet homme qui, plus quil adorait la boisson, se haïssait lui-même. Il lui était donc égal de ne plus rien savoir de lui. Au contraire, répondit-elle avec un rire strident, à madame Inès ; elle navait nullement lintention de se remarier. A Dieu ne plaise ! Et de toute manière, elle demandait quon prenne soin de la fille que livrogne lui avait faite, et peut-être quelle était comme ça à cause de lui et quelle serait jusquà la fin de ses jours comme une corde à son cou. Madame Rachel eut un grand soupir étranglé et scruta de nouveau le ciel de ses yeux ardents. Quest-ce quelle raconte madame Inès avec son ciel blanc ? Elle ne se souvenait de rien, sauf dune petite bulle qui pétillait dans sa tête, mauvais présage. Comme si tout était effacé, que tout pouvait arriver, même le danger...

Le rire de madame Rachel se perdit dans le bâillement qui la prit soudain, mais elle prenait encore plaisir à cette fraîcheur matinale où sa chair se faisait petites boules bleuâtres avec la brûlure du couteau sur son bras. Pourtant, cétait bien ! ça cétait du courage ! Comme plonger les bras, lhiver, dans la cuve deau glacée pour en laver le savon ; ou les jours de hamsin brûlant, les plonger jusquau coude dans leau bouillante, frotter encore cette corde chaude qui lui coupait la respiration, lui embrumait les yeux, faisait éclore des cloques blanches sur ses doigts comme putréfiés ; et pourtant, frotter encore et toujours les cols salis par la sueur et les aisselles jaunies et les manchettes noircies puisque cétait comme ça que la saleté partirait et que tout serait blanchi. Seulement du ciel, de la pluie ! allons donc ! grimaça-t-elle... Mais cest cela le courage : aller contre le courant, contre les saisons, les fêtes, les gens qui causent, tout était allé contre elle dans sa vie. De quoi alors lui vient cette peur insensée, et précisément ce jour-là et madame Rachel resserra la manche de sa chemise contre le couteau tordu elle finirait bien par sévanouir cette fois encore autant quelle le voudrait, et le brouillard se dissiperait lentement au-dessus de sa tête ébouriffée et serait remplacé par les draps divoire et dazur, odorants et tièdes, quelle respirerait profondément ; et ce ne fut que sous le soleil éblouissant qui inonda la bicoque den face, que madame Rachel se hâta de rentrer chez elle.

Avram le Patron comme tout le monde lappelait, fut le premier à entrer au lavoir commun de la cour noire. Pour deux raisons : il était le seul homme de la cour, et il devait prendre lautobus de 5 h 45 pour Jaffa où il travaillait à latelier de lhôpital Dejani, à réparer les lits, les civières, les chaises roulantes, les porte-perfusions et autres appareils métalliques. Cétait un bon boulot, assuré et quon lui avait procuré au parti où il avait acquis la réputation de meilleur recruteur de voix de son quartier, quoique lui-même glissait régulièrement dans lurne un bulletin marqué Mahal, sans que nul nen sache évidemment rien. En fait, il était tout à fait impossible de le savoir. Avram était très fier de sa large face rébarbative qui faisait la terreur de tout le quartier et des énormes biceps qui se nouaient sur ses bras bronzés et imposaient silence à tous et surtout à la bibliothécaire qui nétait pas mariée et sétait mise à bégayer lorsquil avait fait de la bibliothèque une Maison du Peuple improvisée qui allait accueillir toutes sortes de réunions du parti qui se terminaient souvent par des rixes avec chaises renversées, livres transformés en projectiles que la bibliothécaire rangerait le lendemain pour quelques sous, lentement puisque, ces derniers temps, les gens, du fait de linsupportable tension, lisaient peu. Cependant, parfois, lorsque la réunion était trop houleuse et subversive et que les dégâts étaient importants, Avram se hâtait de quitter lhôpital et venait en short kaki et en maillot de corps réparer les bancs et les étagères dispersés sur la petite place devant la bibliothèque, de ses mains puissantes qui aux jours délections amenaient des vieillards impotents voter Mapaï ; et pour ce jour, il empruntait à lhôpital une chaise roulante ou une civière, et dès lhospice des vieillards (il en soignait quelques-uns), il glissait une livre ou deux dans leur main chenue ou dans la poche de leur pyjama, avec le bon billet de vote.

Cest ainsi que nul plus quAvram le Patron ne sétait attristé, un matin, que personne ne se fût trouvé dans la cour pour éteindre le feu sous la bouilloire de la vieille paralytique, la vieille qui habitait jusque-là dans la baraque maintenant zébrée de bois carbonisé et devant laquelle il passait pour aller à la douche avec ses instruments de rasage, la serviette marquée du nom de lhôpital jetée sur son maillot et les flammes extrêmement fortes avaient dun seul coup embrasé toute la bicoque, léchant puis dévorant planche après planche ; et les femmes de la cour avaient travaillé comme des folles jusquau soir, à lheure de son retour, pour se concilier et lincendie et Avram le Patron.

Mais Avram avait refusé de se consoler. La vieille paralytique avait toujours été une voix assurée, et pour chacune de ces voix il touchait du parti quinze livres et recevait toutes sortes de certificats et de formulaires dont il pouvait avoir besoin. Avram le Patron soupire pour la millième fois, tire maintenant de la poche de son short un trousseau de clés quil lance en lair et rattrape par la plus petite pour ouvrir la porte de la salle deau. Toutefois, avant même dentrer et parce quil détestait lobscurité et les choses neuves ou peu claires, il avait tout de suite allumé la lumière qui dégoulinait, maigre et faible, de la lampe au-dessus de la glace rongée par lhumidité. Néanmoins, il ne sétonna pas de voir que les socles déformés des cuves à lessive de madame Rachel qui, empilés, occupaient un côté de la petite pièce nétaient pourtant pas encore tombés sur le sol de béton gonflé dhumidité de la pièce et quon refaisait chaque année pour le service des voisins ; mais ils gênaient, en effet...

De plus, il ne sétait pas rappelé que la lavandière avait reçu la permission de les y entreposer pour cette nuit-là ; que les socles restaient dhabitude à lextérieur, près des cuves, et il décida de ne pas insister. Ce soir-là, ils projetaient de brûler Nasser, et le moindre bout de planche était un trésor, ricana Avram le Patron avant douvrir le robinet et de préparer son épaisse mousse à barbe. Son double menton cramoisi descendait comme des marches descaliers sur sa poitrine. Il fit le décompte rapide de ce quil pourrait tirer pour ces socles de bois : en bloc, deux ou trois livres, des enfants qui depuis deux ou trois semaines écumaient les rues comme ivres, à la recherche fiévreuse du moindre débris de bois, éludant sans difficulté le territorial qui, dans son uniforme sombre, était de service dans les rues du quartier et veillait rigoureusement à lextinction des lumières, des réchauds à pétrole Primus, comme des bougies, ainsi que lenjoignaient les consignes doccultation que venaient de décréter les autorités. Avram le Patron fit un sourire avare pour ne pas déranger la couche de mousse mais les enfants néchapperaient pas moins au garde que sil était lui-même une torche brillante, utilisant sa lampe qui se balançait faiblement pour fouiller cette cour dans les recoins. Ils auraient vendu leur âme pour une planche quelconque quils nauraient pas reçue ni réussi à dérober...

Quelle âme ! hoqueta-t-il joyeusement ; même ses deux fils, des jumeaux épais et solides comme lui, se préparaient au service militaire pour bientôt ; et il espérait que la guerre, quon attendait, qui assurément éclaterait demain ou après-demain à cause des feux de joie de la fête, que personne au gouvernement ne pouvait interdire, à supposer quon leût voulu, et quil était encore possible déviter si elle éclatait vraiment, quelle se termine avant que ses fils soient incorporés pourquoi il avait parlé à quelquun de larmée pour que les jumeaux soient oubliés pour la première levée et pour la deuxième et voilà-til pas que ces deux ânes, pourtant déjà grands et barbus, rentraient chaque soir à la maison le pantalon déchiré et les bras piqués d'échardes, et sa femme qui piquait une colère quoiquil y eût plein diode et de désinfectants de lhôpital ; et pourtant ils nosaient pas toucher aux socles des cuves de Rachel, car ils auraient affaire à lui personnellement...

Ça y est, la guerre! Avram enflait sa mâchoire pour que le rasoir la rende glabre comme du beurre. La guerre était là qui guettait tous les jours comme un chien atteint de la rage, accroupie et se grattant, et ce nétait plus quune question de temps pour quelle attaque... Dune certaine manière, Avram le Patron se réjouissait des feux de joie et de ce quils se préparaient à faire à Nasser parce quil attendait passionnément cette morsure de la guerre, car même du temps du rationnement, il avait fait de bonnes affaires au marché noir grâce aux objets quil avait volés aux hospices de vieillards ou par les appareils coûteux quil dérobait dans les entrepôts de lhôpital. Maintenant, avec la récession, il allait sûrement prospérer encore. Avram fit passer le rasoir sur ses rudes poils, précautionneusement, tout près de ses yeux qui ne quittaient pas la glace pour ne pas déraper et voir en même temps ce que la fille de madame Rachel faisait de la patte de poulet pleine de boue sur les murs lézardés de la douche. Ce quelle y barbouillait...

Avram le Patron ne savait ni lire ni écrire, mais il naurait assurément pas toléré quon abimât ainsi la salle deau sur laquelle il veillait personnellement, neût été que cétait la fille de madame Rachel, lidiote de la cour à qui il aurait permis encore beaucoup dautres choses, quoique, à part cela, la fillette ny faisait rien et que même ces griffonnages embrouillés étaient finalement effacés par la vapeur des bains, comme des sortes de filets de larmes qui se diluaient en taches et que tout, pensait-il, seffaçait ainsi de toute manière... Mais, suffit ! se promit Avram le Patron il rinçait le rasoir sous le mince jet deau cette année, et pourvu que la guerre vienne assez tôt, outre le revêtement de béton, il repeindrait à la chaux bleue la petite salle de douches également, quelle soit entièrement débarrassée de sa crasse et quelle soit propre, conclut le patron, et il se mit déjà à se savonner le cou et les aisselles, tandis que sa femme allumait la radio dans leur cabane pour réveiller ses filles à qui il avait également procuré un poste comme aides-infirmières à Dejani.

La guerre a peut-être éclaté, espéra Avram le Patron en entendant le miaulement de sa femme dont les nerfs cédaient dannée en année, et surtout aux périodes de tension. Il se hâta de se rincer et lorsquil sortit de la douche, massant sa poitrine mouillée, il aperçut un avion égyptien au-dessus de lui dans le ciel dazur, trainant une épaisse queue noire. Avram le Patron se dit que lavion était sans doute en mission dobservation quoique par le passé des bombes avaient été larguées sur le quartier et sur la cabane du maroquinier sourd qui sentêtait à déposer le bulletin marqué Mahal, repoussant avec force tout appât au point quil ne restait plus à Avram quà lui taper amicalement sur lépaule, puisque les handicapés navaient quà résister pour quil les laisse en paix et pourtant la cabane du sourd avait brûlé jusquau sol ; que cette fois encore, tandis quil essuyait son visage de sa serviette tendue, il attendit un instant sur le seuil de la douche pour voir ce qui allait lui être envoyé den-haut. Mais quand lavion fut effacé par la fumée, Avram le Patron cracha de côté et savança vers sa cabane sans éteindre la lumière dans la salle deau pour cette autre raison : tous les matins, de suite après lui, cétait madame Rachel qui y allait.

Madame Inès, la couturière, fut presque la dernière à se réveiller, du fait de sa vie nonchalante ; et lorsquelle jeta un coup doeil par sa fenêtre, de lautre côté de la route, la fille de madame Rachel, dans sa robe et le pull a moitié décousu dont elle ne se séparait ni lhiver ni lété, était déjà collée au mur sud de la salle deau. Madame Inès écarta la toile noire qui couvrait la vitre, à cause du black-out, et prit plaisir au spectacle. Pour elle, cétait un signe que le ciel était en effet intense et doux, ce matin-là, sans quoi le caméléon de Rachel, maigre, mince et humide, naurait pas été sur le mur bleu saturé de soleil.

Madame Inès navait pas allumé la radio pour entendre les menaces du président égyptien et ses imprécations, parce que partout alentour roulait un tonnerre de sang, de flamme et de menace à chaque fois quon y diffusait des nouvelles alarmistes ou quon parlait et parlait pour ne rien dire et que la musique sarrêtait dun coup comme un sang qui se coagule. Malgré tout, madame Inès restait calme et sûre que rien narriverait finalement, même si la tension collait à tous comme une sorte de maladie de peur et dagitation vaine ; et la voyante boukharienne quelle détestait, qui frottait sa boule de cristal avec de lurine de chat noir, faisait de bonnes affaires. Madame Inès pour sa part, sen remettait à ce beau ciel comme un petit enfant ; et comme elle navait pas denfants pour qui sinquiéter, peu lui importait ce qui pouvait arriver, car le bon Dieu, on peut en dire beaucoup de choses, mais il nest pas aveugle ! il a des yeux pour voir, le Créateur, et même sil donne une sentence, il finira bien par refermer les déchirures et renouer de nouveaux liens pour le mieux, tout comme elle cousait, à chaque fête le mannequin que les enfants se préparaient à brûler, fait de sacs dérobés au marché et quelle taillait à la forme choisie dans ses livres de couture et puis cousait de son aiguille la plus épaisse ; quelle bourrait de tous les chiffons accumulés chez la lavandière : les vêtements non réclamés que madame Rachel avait gardés jalousement sous ses cuves et quelle ne conservait que jusquà Lag baomer qui était le dernier jour où lon pouvait les demander, car au jour dit, les vieilles fringues et les lambeaux de couverture emplissaient déjà le mannequin qui allait se balancer dans les chants sauvages, au-dessus des feux, et ceci quoique prenant feu dès la première étincelle...

Cette année, cest Nasser quon brûlera et bon débarras !... se délecta madame Inès sous le toucher des jeunes rayons de soleil qui parcouraient son visage tout souriant au souvenir du mannequin énorme quelle avait cousu cette année et qui était encore vide et effondré. Mais, cette fois-ci, et daccord avec la lavandière et les enfants, ils attendraient le dernier moment, jusquà ce que madame Rachel tire les derniers lambeaux de tissu de dessous les cuves ; que le mannequin senfle de chair et dhorreur, de haines et de vengeances, despoirs et de prières, pour quon le voie très bien de la colline aux feux, et quil brûle sans fin... Patience...! Pourtant, la couturière ne délaissa pas sans peine la vue de sa fenêtre en face du caméléon gorgé de soleil à la gauche de la colline encombrée jusquà ce quelle aille éteindre la flamme sous la bouilloire. Elle se prépara un verre de thé accompagné dun confit de coings quelle avait cuit exprès, offrant à chaque fois un bocal à madame Rachel pour sa fille qui mange à peine et grandit à peine. Or, maintenant, alors quelle diluait le confit épais dans leau bouillante qui sobscurcissait, madame Inès décida de se débarrasser cette année du rouleau à pâtisserie qui était à côté du réchaud ; ce vieux rouleau fendillé à force dusage et qui engloutissait un peu de la pâte et faisait manquer la cuisson. Cest pourquoi, madame Inès prit sa tasse brûlante et rejoignit sa fenêtre pour ly boire à son aise ; ces aises de veuves qui contemplent le ciel en fleur que seules les vapeurs de la lessive de madame Rachel montant par-dessus les toits des cabanes den face bordaient de nuées passagères, tandis que le rouleau à pâtisserie, serré dans la ceinture de son tablier comme un gourdin, se frottait au bord de la fenêtre. Patience !...

La lavandière, alors quelle était penchée sur ses cuves fumantes vit, du coin de son oeil irrité, cinq hommes en costume noir et chemise blanche, mais sans cravate. Ils étaient entrés dans la cour au pas presque cadencé, sadressant comme par inadvertance à la jeune fille qui semblait être là comme pour eux et ils avaient donc ralenti leur allure et qui restait collée au mur de la douche, ne se déplaçant que dans le cercle de soleil, ses grands yeux fermés sur des rêves rouges qui fleurissaient dans le ciel et bouillaient dans leur dos.

Plus absorbée que jamais par son occupation, madame Rachel se dit quils cherchaient Avram le Patron : les permanents du parti venaient toujours lui proposer des opérations aussi diverses quétranges, mais sa femme, dès quil partait à son travail suivi du reste de la famille, retournait dans ses draps à lodeur de médicaments et nouvrait plus à personne. Madame Rachel sourit aux bulles damidon qui éclataient sous son sourire inepte. Un à un, le groupe noir se défit, interrogeant vainement lidiote si habitait là un certain untel... Elle le connaissait... où était-il, quand rentrerait-il ? Et il se produisait, à mesure quils répétaient le nom de ce certain untel, que la jeune fille se tordait comme un lézard quon a attrapé par la queue et de plus en plus se réfugie contre le mur sans que lon sache si cest pour se libérer de sa queue frétillante ou pour en faire repousser une nouvelle. Or, le quintette énervé se contorsionnait de colère lui aussi, et piétinait le sol chocolat, têtu et comme faisant le siège de la fillette jusquà ce que, en fin de compte, celle-ci se détacha avec un hurlement de son mur, brandissant la patte de poulet déglinguée quelle avait tirée de la poche de son pull-over et disparut dans la douche y souillant les murs avec des aï aï aï et encore des aï aï aï inintelligibles et ininterrompus ; suivie immédiatement par deux imbéciles lancés à sa poursuite, pensant peut-être quAvram se trouvait là. Ce qui se passa est quils hésitèrent un moment, un seul, ne saisissant rien de ce qui se passait et de ce qui fut écrit, alors également que le soleil de midi troublait leur vue par son contraste avec lobscurité de la petite pièce. Ceci fit quils sortirent dans une plus grande colère encore quils nétaient entrés et la transmirent aux trois qui étaient restés dehors jusquà ce quils laperçurent au travers de la fumée, reconstituèrent leur groupe noir, se propulsant en avant et lentourant cette fois pour lassaillir elle aussi de questions : où est Avram le Patron, elle le sait... A-t-il dit quand il viendrait... Au fait, il est peut-être à Dejani, cest bien possible... et la clé de la Maison du Peuple, de la bibliothèque, est-ce quelle la... ?

Madame Rachel continua à faire des mignardises de dénégation, du bout de sa chevelure humide et de son cou fané, les bras toujours plongés dans leau trouble de sa lessive où crevaient des bulles de savon brillantes. Elle était obligée de travailler ainsi, au milieu de la cour, au lieu de la salle deau, lors que c'était ce qui était le plus adéquat pour que les voisins puissent constater quelle nutilisait pas plus deau que celle quelle payait à Avram le Patron, tout comme Avram le Patron avait coutume deux ou trois fois la semaine et nul ne savait exactement quand de rentrer plus tôt de lhopital, de se glisser derrière la lavandière, cueillir la fille sur son mur bleu-azur, et alors la pousser de son genou velu et puissant dans la salle deau qui était toujours vide à ces heures de repos et là, dans la pénombre de la douche qui navait quune lucarne grillagée, de sorte que même avec le plus brillant soleil au dehors, il prenait soin dallumer à lavance la misérable ampoule, puis se hâtait de refermer la grinçante porte, coller la fille au mur avec son corps qui nétait que peau et os, sous la cuve émaillée géante au-dessus delle, de sorte que si elle relevait la tête, elle encaissait un grand coup de tuyau au front ou à la tempe dautant quil lui fit tourner violemment sa tête émaciée, lui barrant de sa main lourde la bouche et le vain cri qui allait en sortir; et cest ainsi quil la viola, par derrière, deux ou trois fois, puis sortit et cracha sur le seuil, la laissant traîner par terre, amas informe de membres, sur le sol de béton, et une seconde, pas plus, car la lavandière le suivait pour laver le sol, laver la fille, cette fois à leau glacée car elle avait déjà épuisé sa réserve quotidienne deau chaude. Et cest pour cela que, au moment où elle fut relâchée, la fille bondit au dehors et se colla au mur, et avec les mêmes convulsions qui avaient pris son ivrogne de père, elle buvait le soleil, une vie nouvelle et sa respiration se calmait graduellement jusquà ce quil sembla que rien ne sétait passé, vraiment rien ; et la lumière avait déjà baissé, et à louest menaçait le crépuscule du soir, comme Avram le Patron qui était seul à savoir ce quétait son mari : qui il était et où il était, quand il viendrait lorsquil saurait où elle se cachait; il surgirait ainsi tout à coup et la réclamerait elle seule, laissant la fille à Avram en guise de remerciement de len avoir débarrassé, et sans attendre recommencerait à la battre et lui prendre largent de son labeur, car seul Avram savait quel mari elle avait trouvé ; et qui, sauf lui, savait ce que réservait lavenir, ce qui lui serait favorable et ce qui ne le serait pas...

Vous avez vu ? Non vraiment !... regardez par là !... Il vont brûler Nasser aujourdhui, sussura finalement madame Rachel pour ne pas éveiller de soupçon, par un effort trop voyant et trop peu de coopération, chez les hommes du parti qui sattardaient indécis dans la cour, discutant en récriminant sil valait la peine de lattendre. Mais voici quelle réussissait, car tout à coup cinq paires dyeux se tournaient vers la décharge sablonneuse, par delà la clôture. Celle du bas de lécole dont les carreaux étaient brisés depuis longtemps, et encore la semaine dernière un soldat leste aux longues jambes avait escaladé le toit et avait graissé la sirène dalerte, car le directeur sétait plaint quil nétait pas admissible que, en un tel moment, alors que la guerre menaçait, la sirène couinerait toujours comme un poulet quon égorge...

Oh oui !... mais il y a bien pire que cela pour les ordres de black-out des temps de guerre ; cest du moins ce que pensaient les cinq permanents du parti. Mais oui ! parce que toute la colline nétait quun grand bûcher, bourré de planches et de débris de meubles, de plaques de contreplaqué et de bûches ainsi que de toute sorte de pieux et de déchets dont la seule qualité était de mal brûler ; et déjà ses flammes léchaient les fils électriques que les dernières pluies avaient distendus et qui descendaient très bas au risque de provoquer des incendies, et dans le crépuscule qui depuis une heure abaissait lhorizon, un groupe dados tournaient autour de ce veau de bois avec ferveur, y ajoutant joyeusement et avec des cris sauvages, du bois et encore de tout, arrangé et entassé, décomptant les bidons de pétrole afin quil ny manque pas une goutte, et que le temps se consume donc, le moment viendra ; sans faute.. !

Oui, oui ! quil vienne enfin, quil vienne car seul Avram le Patron saura dissuader les voyous de faire ainsi, par la lumière et les torches, le jeu de lennemi et aussi de la contre-réunion improvisée pour précisément faire déclencher les hostilités et vous verrez par vous-mêmes à quel point elle est importante, sirrita lhomme au costume le mieux repassé regardant avec une sorte de grimace sa montre-bracelet, mais ouf ! dit son collègue dun ton condescendant, et on voyait quil avait coutume de plaisanter, daprès les deux fossettes qui se creusaient brusquement sur ses joues, bêtises ! si on brûle Nasser, même Avram néteindra pas le bûcher... et seul Rabin pourra éteindre ces feux juvéniles. Alors, attendons et on verra... ricana-t-il tourné vers la lavandière qui gelait et brûlait tour à tour, dautant quil avait éternué deux fois à cause des odeurs damidon et des puissantes vapeurs du trempage quelle répandait exprès tout autour.

Oui, oui approuveraient les trois autres : Nasser arrivera sans doute avant Avram... Tirons-nous ! Mais le bien repassé ne se rendit pas avant davoir ramassé un caillou, furieux, et fait un essai sur la fille qui se collait comme une affiche électorale au mur de la douche ; et ce nest que lorsque la pierre la pinça au genou la lavandière bassina une fois de plus son visage deau bouillante et que la fille se réfugia à nouveau à lintérieur quelle barbouilla de sa patte de poulet boueuse, quil eut un rire : oui, allons-y ! et tant mieux sil vient une pluie et que tout tourne en eau de boudin, jura encore le repassé. En se redressant elle regarda par-dessus son épaule elle vit quil était déjà en tête, suivi de près des autres, ignorant comme lui la colline. Et celui-là, où est-il celui-là ? La lavandière promenait doucement la main dans leau de lessive à la recherche de son couteau glissant. Ah le voilà ! elle le palpa comme sil était une boucle denfant, puis le déposa et se remit à pétrir son linge sur sa planche à laver, le soulevant de temps en temps avec effort pour le rabattre ensuite dans leau claire qui prit alors la couleur du ciel mauve argenté que madame Rachel projetait en tout sens, pourvu que le temps passe...

Chut donc ! il ne pleuvra pas, la rassura madame Inès survenant de derrière au moment où les hommes sengouffraient dans leur voiture avec une tape amicale sur le dos courbé de la lavandière, les enfants ne permettront pas quon nallume pas le feu. Tenez ! regardez-les, ils reviennent... Nempêche ! les larmes de madame Rachel tombaient une à une dans les cuves alors quelle faisait passer le linge ensavonné de la cuve chaude à la cuve deau froide et se mettait à ly brosser avec des mouvements fatigués... Mais jusquà ce que le groupe des enfants, égratignés et ecchymosés qui étaient dépêchés de la colline, surgirent dans la cour et demandèrent le mannequin, la lavandière avait eu le temps dessuyer sa joue de la manche et même de rire avec madame Inès qui réfrénait les jeunes sauvages avec vigueur : ah non ! un accord est un accord ! patience ; nous attendrons Avram le Patron pour le poteau ; cest ce qui était convenu, alors barrez-vous ! Nasser est en bonnes mains, ajouta la vieille avec un regard vers les cuves à vêtements couvertes.

Les yeux des enfants brûlaient de haine amoureuse : on peut voir, madame Inès ? criaient-ils, on veut voir ! Aucun deux ne voyait comment la fille de la lavandière se tenait frissonnante près du mur de la douche, face aux derniers rayons du soleil faiblissant; aucun dentre eux ne vit plus que ce que madame Inès accepta de tirer parcimonieusement de la cuve : une paire dénormes jambes de sac, ballantes et déjetées, molles à en enrager, de sorte que les enfants paniqués exigèrent alors de les tirer de la cuve. Non, non ! madame Inès refusait, brandissant le rouleau à tarte quelle portait à la ceinture de son tablier ; patience ! madame Rachel a encore un million de chiffons pour achever de le rembourrer, ici, en-bas ; attendez ! Sans Avram le Patron, plein ou vide, il ne tiendra pas debout ; alors, maintenant allez, filez ! madame Rachel finira sa lessive et alors seulement on se préparera. Alors main-te-nant ! tous ! la couturière claironnait de la voix, poussant les têtes en sueur qui, désappointées, traînaient à contrecoeur, tous-les-zen-fants-sor-tent-de-la-cour !

De la colline, un Nasser attend Rabin ! , en un choeur sauvage et bruyant, accueillit Avram le Patron à son retour, rentré par la porte de derrière de la cour, traînant après lui, comme convenu, le porte-perfusions rouillé quil avait fauché à lhôpital.

La cour était vide. La lavandière avait bien fait rouler les cuves ouvertes et maintenant vidées près de la grande porte, mais ses bassines séchaient appuyées contre la clôture et les portiques où flottaient, au-dessus du toit du chalet, les voiles humides du linge, senflant malgré le ciel dalcool qui sassombrissait graduellement, et excepté quelques étoiles, perdait sa brillance.

Face au vide sans vie du ciel, la colline bruissait dactivité. Les gens, jeunes et vieux, les grappes de gosses et dados, excités et enroués à force de cris, de jurons, tournaient en files autour du grand bûcher éteint pour linstant comme un monstre endormi quoiquil enflait les poitrines par sa puissance et faisait briller les yeux dune attente de victoire. De temps en temps, deux ou trois gosses tambourinaient comme des dingues à la fenêtre ouverte de madame Inès ou à sa porte ; mais Avram le Patron savait que les femmes lattendaient dans la petite salle deau où on projetait de pendre Nasser au porte-perfusions et alors seulement de lamener tout gonflé et enflé et puant de pétrole à la colline... Mais pourquoi, nom dun chien ! le patron traîna les roulettes de lappareil qui crissèrent sur le sable pourquoi ces deux idiotes nont-elles pas allumé la lumière dans la douche ? Il appuya furieusement sur linterrupteur et poussa un juron quand la lampe resta muette. Avram le Patron donna quand même un grand coup de pied dans la porte et entra avec sa haute tige de métal.

Ténèbre d'Egypte ! Au diable, quest-ce cest que ça ? Nue, la fille de la lavandière se baignait dans une des bassines pleine de mousse, sa petite tête tirée de force en arrière, alors que la blancheur de ses minces membres perçait lobscurité. Avram le Patron se mit à rire à gorge déployée ; il secouait la grinçante colonne de métal avec une surprise satisfaite. Ah, cest ainsi ? joyeuse fête, aboya Avram le Patron, sapprochant sans se presser de lidiote qui émit un grognement de sa gorge, son visage invisible cependant... Tes encore plus moche que Nasser, tu sais, chienne ! cest toi quon devrait brûler, grogna le patron se penchant en trébuchant pour pincer le genou de la fille qui frémit sous leau. Ce faisant, il avala aussi sans aucun bruit le couteau qui lui avait pénétré le cou, comme pour le labourer et extirper lartère ; mais un instant avant de se retourner, ensanglanté et stupéfait, il seffondra lourdement, donnant de la tête en avant. Quant au couteau qui avait fini par se retirer de la gorge, il labourait, sarclait son dos puis ses fesses. Le couteau était petit mais mordant, goulu même et lobjet au-dessus de sa tête abattait sur lui encore et encore éclats et ténèbres ! éclat et ténèbres...

Cest encore au son de cette chanson que les femmes poussaient le mannequin géant, bien rembourré maintenant et se balançant fièrement à la haute tige métallique. Les jumeaux du patron sentêtaient, pour cette parenté, à la planter eux-mêmes au sommet du bûcher et vider tout autour tout le bidon de pétrole et sur la pointe des pieds atteindre et asperger la tête, là doù la moustache de Nasser profèrerait une dernière invective et, dès que les autres redresseraient le mannequin, avec une ardeur possessive, car à cause de son poids il seffondrait ou versait de côté. Mais, attends Nasser ! menace de feu et de coups qui menace le dernier ; attends, attends, patience !...

Personne ne se souvient de qui avait allumé la première allumette. Sans doute y en eut-il plusieurs et en plusieurs points. Le feu sétait curieusement attardé avant de prendre son élan et flamber haut, enveloppant ce quon lui offrait généreusement; mais personne ne se rappelait... mais regarde comme cest beau ! murmura madame Inès à loreille de la lavandière, à la vue du ciel qui éclatait ; regarde comme la flamme est joyeuse et libre et comme elle chasse les ténèbres. Regarde, comme les nuages sont comme des pêches mûres, par ma foi ! oranges et roses, et le noir est comme un vrai lait tout blanc, de cette belle crème de fumée ; regarde donc !

Souriante, madame Rachel essuya les larmes de sa manche humide et inspira profondément lair brûlant. Lincendie ne la troublait pas un instant la couturière avait ramené son regard du ciel les bûches, les doigts et les mentons qui toutefois, étaient tombés entre les planches enveloppées de flammes, ou les débris de meubles embrasés pris entre les rotules velues effondrés avec une demi-jambe amputée et une épaule que les flammes écorchaient. Mais madame Rachel tourna, au contraire, le regard vers la petite salle deau obscure, de lautre côté de la route et elle tendait loreille : Nasser attend Rabin, aï aï aï... aï aï aï... aï aï aï..., attend et ne bouge pas, aï aï aï... qu'il attende, cest parfait...! Toute lassistance chantait sur la colline, alors que, là-bas, de lautre côté, avec sa patte de poulet souillée de brindilles et de sang, de sable et de boue, la fille hurlait derrière les murs : aï aï aï ... aï aï aï ... aï aï aï ... aï aï aï ... aï aï aï ... aï aï aï...! 

 

Traduit par Zvi Lévy

 

* Nasser mekhaké le Rabin (Nasser attend Rabin), chanson populaire de la période qui précéda immédiatement la guerre des Six-Jours, et qui fut inspirée par une déclaration du président égyptien Gamal Abdel Nasser.

** Le 33ème jour du comput de la Pâque ou Omer, fête mineure du calendrier juif commémorant le souvenir de deux grands sages du Talmud, Rabbi Akiva et Rabbi Shimon Bar Yohaï. Les enfants allument à la tombée de la nuit des feux de camp à cette occasion

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14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 14:00

Le 10 octobre 2010, les libraires allemands, à Franfort lors de la foire internationale du livre, ont remis le prix de la paix à l'écrivain israélien David Grossman.

Par ce geste, ils ont souhaité récompenser les efforts de l'écrivain en vue de réconcilier son pays avec les palestiniens.

 

« Dans ses romans, ses essais et ses nouvelles, Grossman a toujours cherché à comprendre et à décrire non seulement sa propre position, mais aussi les opinions de ceux qui pensent différemment », a souligné l’association des Editeurs et des Libraires allemands à la Foire du livre de Francfort, la plus grande au monde.

 

« J'espère que mon pays, Israël, trouvera la force de récrire encore une fois son histoire. Qu'il apprendra à appréhender son passé et ses tragédies d'une façon nouvelle et à se réinventer encore une fois grâce à cela », a déclaré l'écrivain dans son discours. « Seule la paix donnera à Israël un chez-soi et un avenir. Et seule la paix nous permettra, à nous, Israéliens, de ressentir quelque chose qui nous est totalement inconnu jusqu'ici: le sentiment d'une existence stable. »

 

Le prix de la paix, doté de 25 000 euros, récompense chaque année depuis 1950 une personnalité qui, par son activité littéraire, scientifique ou artistique, « a servi de manière significative la progression des idées pacifistes ».

 

(Source RFI)

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12 avril 2009 7 12 /04 /avril /2009 12:40
Un homme sans tête et autres nouvelles
d'Etgar KERET, publié aux Editions Actes Sud en 2005, sort en ce mois d'avril 2009 dans la collection poche d'Actes Sud, Babel

Babel n° 958 
Traduit  de l' hébreu par Rosie PINHAS-DELPUECH 
avril 2009 / 11 x 17,6 / 224 pages
ISBN 978-2-7427-8298-7 / AS7736
prix indicatif : 7,50 €


Résumé
Tout enfant, dès lors qu’il devient adulte, est-il condamné à se transformer en “un homme sans tête”, à l’instar des personnages qui peuplent ce recueil et habitent un monde où dire “je” est apparemment de plus en plus difficile, voire impossible ? Jeunes hommes et jeunes femmes semblent en tout cas saisis d’un étrange vertige quand ils se découvrent voués à prendre leur place parmi les vivants sur l’inconstante scène du monde…
Fidèle à son esthétique minimaliste et percutante, Etgar Keret fait surgir les multiples visages que revêt l’angoisse existentielle chez des individus en quête de leur langage et de leur jugement qui ne découvrent, de l’autre côté du miroir, que la menace d’une absurdité aussi effrayante qu’essentielle.
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