Adam ressuscité
Yoram Kaniuk, roman de 1971
Publié en français aux Éditions Stock 1980
Ce roman raconte l'histoire d'Adam Stein, interné régulier de l'Institut de Réhabilitation et de Thérapie, situé au coeur du Néguev.
Adam Stein, rescapé de la Shoah.
Adam Stein, célèbre clown allemand.
Adam Stein, chien de Herr Commandant Klein à qui il doit la vie.
Adam Stein, thérapeute d'un enfant chien.
Adam Stein, amant de Jenny.
Adam Stein, fou.
Après l'horreur humaine de la Shoah et son incompréhensible, indicible réalité, comment survivre? Comment vivre le quotidien humain comme si de rien était, comme si rien n'avait été?
Adam Stein a choisi la folie, la vie n'est qu'un grand théâtre ou il faut prendre le parti de rire. Alors Adam s'amuse comme un petit fou, il connait tout son petit monde, l'Institut est sa maison, personnel médical ou internés, il manipule à son gré et souffle un vent de folie intense sur chacun.
Et puis il y a cette relation spéciale qui s'établit entre Adam et David. David est un enfant interné qui se prend pour un chien. Adam le ramènera peu à peu à l'humanité. La guérison de David signera sa guérison, mais on n'est jamais sur de rien.
Ce livre est un livre difficile, mal aisé à comprendre car il donne autre chose à entendre que le discours normé sur la Shoah. Il parle de l'indicible, ce qui ne se peut sans la folie.
En exergue de son livre, Yoram Kaniuk a inséré les deux citations suivantes :
« Elazar, fils de Ya-ir, dit : 'Dieu a dû se prononcer irrévocablement contre le peuple juif qu'Il aimait tant. Car s'Il avait continué de lui manifester Son amitié, si Son ressentiment avait été seulement passager, Il n'aurait pas été absent – si étrangement absent – lors de la Grande Destruction.' «
Flavius Josèphe, La guerre des juifs.
« L 'homme est un dieu déchu »
Emerson.
Extraits
«Il n'y a qu'une issue. Qu'une seule façon de se sauver. C'est de rire. C'est pour ça que je suis devenu clown. Si je n'avais pas été capable de rire là-bas, chez le commandant Klein, je n'aurais pas pu le supporter, j'en serais mort ; c'est également vrai pour tout le monde, pour vous tous. Les hommes, les femmes, lui et elle, toi et toi, et même Klein. Quand il a cessé de rire Klein est devenu Weiss. Et le condom que je lui apportais était tout juste bon à le faire pleurer. Il faut savoir rire. Il n'y a rien d'autre à faire. Vous devez vous dire que vous êtes une bouilloire bleue, et vous conduire comme une bouilloire bleue, bouillir et siffler comme une stupide bouilloire bleue. Et rire. Et vous cacher le visage, le couvrir d'un masque, crier et vous enfouir dans la glaise, vous pincer les fesses, essayer de vous conduire comme un chien, vendre des actions sur le lune et rire. Sans arrêt, toujours. C'est ça l'objectif à atteindre.
-Tais-toi, Adam. »
« -Tu ne ris pas, Adam ! Je reconnais le rythme, tu pleures. Tu as pleuré comme ça quand le poisson rouge est mort, le jour où nous sommes revenus du cimetière, tous les deux, toi et moi, comme deux orphelins que nous étions.
-Je pleure ? Moi ?
-Toi.
-Pourquoi ?
-Parce que le chien n'en est pas un.
-C'est un chien.' Adam élève la voix, tout à coup inquiet. 'C'est un chien.'
-Regarde-le, Adam, regarde-le, observe-le, vois par toi-même, parce qu'un jour tu as été intelligent, avant de te retirer, avant de mal tourner.
-Je regarde. Ce que je vois dépend de moi ; tout s'est estompé ; la guitare est un train, et le train c'est toi, Heidelberg, c'est l'éternité. Jérusalem est un cimetière. Ruthie est un clown et le chien est un enfant.
-Tu regardes, mais tu as peur de voir.
-Je regarde. De toutes mes forces. Tu n'as pas le droit. Tu es moi. Je suis toi. Nous sommes tous les deux, l'un et l'autre. Toi. Moi. Regarde, il écrit. Une lettre. Une chanson. A Dieu. Je vois que Dieu rentre chez lui.
-C'est un chien. Un chien n'écrit pas. Un chien aboie, ouah, ouah, ouah. Un chien c'est l'homme d'Ilse Kosh. Un chien, c'est Rex. Un chien, c'est moi quand je ne faisais pas attention.
-Il y a des chiens qui écrivent. Il y a des chiens qui font rire les gens.
-Comme toi ?
-Comme moi. Autrement dit, comme toi !
-Comme toi ?
-Comme moi !
-Tu n'es pas un chien.
-Si, je suis un chien, crie Adam. C'est ce que tu n'as jamais compris. Herbert, mon frère, mon très cher frère, malgré toutes tes études et ta culture, tes doctorats et ton intelligence, malgré Spinoza, Fichte et ton Introduction à la théorie éthique, malgré Hobbes et sa théorie du chien cannibale et de l'homme-loup, malgré Rousseau et Leïbniz, malgré ton Hegel, ton Kant à Königsberg et la nouvelle cité polonaise qui durera mille ans, malgré Platon et Anaximène, Anaxagore et tous ces Grecs, malgré eux tous, tous sans exception, tous les Nietzsche, leur maître et meneur Schopenhauer, et son chien, malgré eux tous, tu n'as jamais compris que tu étais – c'est à dire que j'étais .... un chien.
-L'enfant est un chien.
-Et moi ?
-Pas toi. Tu es un escroc qui n'a pas réussi. Tu as échoué Adam.'
Herbert éclate de rire et disparaît derrière les montants de la fenêtre. »